Soirée d’information : L’Anorexie Intervention de Mme Ann Chevalier - Député provincial en charge des Affaires sociales et des Etablissements hospitaliers Le 9 mars 2007, la Fondation Anorexie Françoise Broers de l’Université de Liège a organisé une journée de réflexion intitulée « Anorexie : Eclairage multidisciplinaire ». En tant que présidente de l’ASBL CEDS, j’ai tenu à soutenir cette manifestation mettant en lumière une maladie mentale qui continue encore de véhiculer beaucoup d’idées reçues, la plupart étant fausses par ailleurs. Nous avions eu le plaisir à cette occasion d’entendre déjà le Professeur Scheen nous décrire ce trouble psychologique et ses conséquences organiques multiples. Je suis ravie de le voir à nouveau parmi nous pour partager son expérience de clinicien. Cette journée d’études, suivie d’une rencontre avec des représentants de l’ASBL MIATA, spécialisée dans les troubles alimentaires, ont été l’occasion pour moi d’une vraie prise de conscience de la souffrance vécue par celles et ceux qui sont victimes de l’anorexie et des enjeux autour d’une prise en charge adaptée non seulement aux malades mais également à leurs proches. Mon collègue, Georges Pire, a rappelé (va rappeler) les quelques chiffres que nous avons en notre possession et notamment ce qui interpelle le plus : l’abaissement constant de l’âge des premières personnes atteintes. Quant on parle de l’anorexie, on ne parle pas seulement de jeunes filles (à 95%) obsédées par les régimes, mais d’une assuétude, d’une maladie grave pouvant conduire à la mort (dans 10% des cas) et occasionnant dans tous les cas des troubles physiques extrêmes. Il n’est inutile à ce stade de rappeler quelles sont ces conséquences physiques à un stade avancé de la maladie : - visage creusé et ridé, teint cadavérique, yeux enfoncés dans les orbites - ongles striés, cassants - cheveux ternes, secs - constipation - troubles circulatoires des extrémités (froideur des pieds et des mains) - diminution générale des capacités physiques due à la fonte musculaire - chutes de tension - troubles du rythme cardiaque - retard de croissance - dentition altérée : émail atteint, gingivite, caries - aménorrhée Toutes ces conséquences interpellent lorsque l’on place l’anorexique face à sa recherche. Confrontée douloureusement à un manque de confiance en lui, à l’impossibilité à se trouver « bien », à trouver sa place, il exprime le désir même inconscient de réduire son corps afin qu’il paraisse moins saisissable par ce monde extérieur qui semble le menacer en permanence. Ce qui, à proprement parler, « fascine » les jeunes filles, les jeunes femmes, c’est que l’anorexie incarne à leurs yeux une forme presque parfaite d’ascétisme, de maîtrise de soi. Devant un monde en perpétuelle mutation ou face à un corps d’adolescente en plein changement, l’état d’anorexique devient un refuge et refus du changement. Je salue le courage de Madame Caro et sa volonté de prévenir par son exemple celles qui voudraient emprunter ce chemin là. Mais je voudrais vous rendre attentif au fait que cette démarche peut être perçue différemment selon que l’on soit anorexique ou pas. Les photos qui ont révélé Madame Caro au grand public ont provoqué un véritable choc émotionnel et une prise de conscience auprès de la majorité des gens. La campagne publicitaire qui l’a révélée a suscité des débats, a provoqué des remises en question, a « alimenté » (si vous me passez l’expression) la recherche autour de la maladie. Et l’on peut dire que de ce point de vue, le choc fut sans conteste salutaire. Mais aux yeux des anorexiques… ? Marcel Rufo, éminent pédopsychiatre, le dira sans fard dans un entretien au journal « La Libre Belgique » du 21 novembre 2007 : « les anorexiques ont trouvé cette jeune fille très jolie parce qu’elles ne voient pas les images telles qu’elles sont ». Suite à l’annonce de cette soirée-débat, à travers un mail qu’elle m’adresse sur mon blog, une femme de 40 ans qui a été anorexique durant son adolescence et qui se dit aujourd’hui encore fragile et même obsédée ne dira pas autre chose. « Prudence, écrit-elle, quand j’ai vu la publicité, même moi, j’ai ENCORE été séduite. On la dit maigre, certes… Et je pense qu’elle l’est… Mais je la vois tellement différemment de vous ! Les yeux d’une anorexique ne changent pas. Même si elle a repris du poids, elle garde ce même idéal de minceur. » Le débat est âpre et je ne peux pas passer sous silence celles qui se font les zélatrices de l’anorexie, qui n’y voit pas une maladie mais un mode de vie, qui idolâtrent certains mannequins dont la très célèbre Kate Moss surnommée la « Brindille ». Ces femmes-là que l’on connaît sous le nom de « pro-ana » revendiquent leur combat et le font savoir à qui veut l’entendre, particulièrement à travers internet. Leur message est clair : « je veux avoir les joues creuses, je veux pouvoir compter mes os, je veux être aussi légère qu’une plume, je veux voir l’envie sur les visages de ceux qui disaient ne pas faire attention à leur poids (…) » Ainsi s’exprime l’une d’entre elles. Une autre se dira révoltée « parce qu’on nous blâme, parce qu’on croit avoir le droit de nous dire ce qui est bon pour nous. Parce que déjà petites filles, nos poupées Barbie étaient maigres et que, maintenant, on nous dit que c’est mal de vouloir ressembler à cette image de la femme normale. Parce que les magazines nous offrent de perdre 8 kg en une semaine et à la page suivante titrent : Comment sortir votre ado de l’anorexie ? Révoltée parce qu’on en a assez d’être des femmes-objets. Révoltée dans un monde contradictoire, sourd et voyeur. ». Ca, c’est l’envers du décor, c’est ce que ressentent certaines anorexiques sur lesquelles nous, gens « normaux », posons un regard attristé voire horrifiée, dont, à ce stade-là, elles n’ont plus rien à faire. Aussi, pour en revenir à notre soirée, nous devons être clair et le message que nous voulons faire passer ce soir doit donc être bien compris pour ce qu’il est, à savoir un message de prévention et d’espoir pour les proches et les intervenants. Et encore une fois, sur ce plan-là, je ne peux que rendre hommage au courage de Mme Caro de venir témoigner de son expérience de la maladie et de l’espoir d’une guérison. Je viens d’évoquer les proches, la famille, les amis qui entourent une anorexique. Il est vrai qu’à côté de la souffrance des jeunes, il y a la souffrance des parents. L’ASBL Miata que j’ai évoquée tout à l’heure a particulièrement mis l’accent sur un accompagnement de la famille car la thérapie du malade ne peut dissocier de l’individu le rôle, l’influence et les nécessaires interactions familiales. Trop de responsabilités ont pesé sur les parents, qu’ils se les aient imposé eux-mêmes ou que ce soit en conséquence du regard que les « autres » portaient sur eux. Comme leur jeune, les parents doivent accepter cette maladie, la reconnaître comme telle et admettre que seuls ils ne pourront aider efficacement leur enfant. Plus que tout, la compréhension et l’amour sont les meilleurs vecteurs d’une guérison espérée. Pour conclure mon intervention, je voudrais laisser une dernière fois la parole à une jeune femme qui fût elle aussi victime de l’anorexie : « (…) être guéri ne signifie pas être heureux : cela signifie la possibilité de connaître le bonheur. Quand on est malade, cette possibilité n’existe même pas. » Je vous remercie