Conférence de presse
du 25 août 2009
Texte de Mme Ann Chevalier, Députée provinciale
La Folie parle
Quels que soient les propos que le monde tienne sur mon compte (car je n'ignore pas combien la Folie est mal famée, même auprès des plus fous), il n'est pas moins vrai que c'est moi, oui, moi seule, qui ai le secret d'égayer les dieux et les hommes. Ce qui le prouve hautement, c'est qu'aussitôt que j'ai paru au milieu de cette nombreuse assemblée pour prendre la parole, une joie extraordinaire a brillé sur toutes les figures. Soudain, vos fronts se sont déridés; vous avez applaudi par des rires si aimables et si joyeux qu'assurément, tous tant que vous êtes, vous me paraissez ivres du nectar des dieux d'Homère, mélangé de népenthès, quand tout à l'heure, sombres et soucieux sur vos bancs, on vous eût pris pour des échappés de l'antre de Trophonius. (…) dès que vous m'avez aperçue, vos visages se sont transformés. Ainsi, tandis que d'habiles rhéteurs, par de longs discourts soigneusement préparés, parviennent difficilement à dissiper l'ennui, moi je n'ai eu qu'à me montrer pour en venir à bout.
Quant au sujet qui m'amène aujourd'hui dans cet appareil inusité, vous allez le savoir, si vous daignez m'écouter, non pas avec les oreilles que vous prêtez aux sermons des prédicateurs, mais avec celles que vous avez coutume de dresser sur la foire devant les charlatans, les baladins et les bouffons (…). Il m'a pris fantaisie de philosopher un moment avec vous, non certes comme ces pédants qui, de nos jours, farcissent la tête des enfants de bagatelles assommantes et leur enseignent à disputer avec plus d'entêtement que des femmes, mais à l'exemple de ces anciens qui, pour échapper au nom décrié de sages, adoptèrent celui de sophistes. Ils s'appliquaient à célébrer par des éloges la gloire des dieux et des héros. Vous allez donc entendre un éloge, non d'Hercule ni de Solon, mais le mien propre, celui de la Folie.
Faire parler la Folie, désigner Lierneux comme « terre d’asile », vous n’aurez pas manqué de constater que j’aime jouer sur les termes et sur les idées reçues et autres poncifs.
En parler… oui mais pour leur retirer toute influence, car pour parler d’une institution psychiatrique comme le CHS L’Accueil de Lierneux, il faut se dépouiller des aprioris.
Entre ce bourgmestre de Lierneux qui en 1884 s’opposa farouchement à l’installation de la « première colonie d’aliénés » en Wallonie au sein de son village et l’attitude positive du Collège des bourgmestres et échevins ces dernières années, on mesure le chemin parcouru par une collaboration quotidienne entre une institution telle que le CHS et un village fortement impliqué dans le fonctionnement de l’hôpital tant du point de vue logistique que thérapeutique. Commune et hôpital vivent en parfaite symbiose, en ce compris habitants, patients et membres du personnel.
L’évolution des relations entre ces deux partenaires est aussi le fruit de l’évolution de la prise en charge des personnes porteuses de troubles mentaux. La notion même de folie a continuellement évolué, ainsi que les soins et les thérapies proposés. C’est dans la nécessaire adéquation entre ces éléments au sein du Centre hospitalier que résident les enjeux de demain.
Au cœur de ces enjeux, on retrouve la question du placement familial, un exemple unique en Wallonie. Permettre à certains patients de mener une vie « normale » au sein d’une structure familiale représente depuis 125 ans la valeur ajoutée du CHS L’Accueil et le ferment de la symbiose entre l’hôpital et les habitants du village. Mais cette démarche originale est elle aussi confrontée aux mutations de la société. La femme qui a longtemps joué le rôle moteur au sein de la famille par sa présence et son rôle pivot est depuis trois décennies à la fois confrontée aux crises économiques et la nécessité de travailler d’une part et son désir d’émancipation d’autre part. Cela rend difficile la poursuite du placement familial même si ce dernier n’est pas encore en péril à Lierneux, il convient de rester très attentif aux changements futurs.
C’est d’ailleurs d’une manière générale le rôle du politique de rester vigilant aux évolutions de la société et de mesurer les dégâts dans la société autant que les dégâts de la société. La pression sociale, presque sociétale pourrait-on dire, a engendré des phénomènes sociaux destructeurs tels l’anorexie, la boulimie et le suicide. Cette négation de soi apparaît de plus en plus tôt et l’on constate aujourd’hui des cas plus nombreux de suicides ou tentatives de suicide chez les enfants de moins de 10 ans !!!
L’allongement de l’espérance de vie est un autre facteur déstabilisant d’une société en perpétuelle mutation. Au troisième âge succède désormais un quatrième âge presqu’aussi nombreux nécessitant une aide et une prise en charge spécifique. Face à ce « papy boom » se dresse une jeunesse en manque de repères et parfois frustrée de ne pas trouver tout de suite sa place dans la société.
Aujourd’hui, de nouvelles réalités sont prises en compte à L’Accueil de Lierneux qui peut s’enorgueillir de traiter des problèmes aussi divers que ceux liés à l’alcool, à la maladie Alzheimer, le suicide au Centre Patrick Dewaere dont la réputation traverse les frontières et l’accueil au sein de la Maison de Soins Spécialisée.
Face à ces constats et bien d’autres, la réponse politique diverge selon les pays. En Province de Liège, depuis 125 ans, on tente d’apporter quelques réponses et une aide adaptée. Chaque année, c’est près de 20 millions d’euro qui sont dépensés par la Province pour le personnel et le fonctionnement du CHS L’Accueil. Et cela sans compter les investissements extraordinaires comme par exemple les 5 millions d’euro qui ont servi à la réalisation de la nouvelle MSP. Une structure pavillonnaire telle que celle de Lierneux implique des dépenses accrues tant en termes de personnel puisqu’il faut pavillon par pavillon assurer une norme d’encadrement qu’en termes de dépenses énergétiques et logistiques. Là où cette structure pavillonnaire répondait à une logique médicale de pointe à l’époque où l’institution a été créée, elle constitue aujourd’hui une source de dépense importante.
125 années d’existence ne sont possibles que grâce au dévouement d’un personnel qualifié et dévoué à son travail. Il me paraît important de rendre hommage à ces hommes et femmes qui ont consacré leur carrière au service d’autres personnes fragilisées. Actuellement nous sommes confrontés aux difficultés de recrutement. La Province de Liège connaît une pénurie d’étudiants en médecine psychiatrique et plus encore d’infirmiers et d’infirmières qualifiées. A cela s’ajoute une évolution des mentalités où se déplacer jusque Lierneux pour trouver du travail constitue bel et bien un obstacle auprès des candidats potentiels.
En tant que Députée provinciale en charge du CHS L’Accueil de Lierneux et avec le soutien de l’ensemble du Collège provincial, je me fixe la mission de poursuivre une œuvre entreprise il y a 125 ans en conservant les mêmes objectifs médicaux et sociaux qui font que le CHS est et restera un site unique en Wallonie, une terre d’asile, non pas au sens clinique ancien, mais bien dans le sens d’un havre de paix où les corps et les esprits peuvent se reposer et se ressourcer, entourés des meilleurs soins et d’un personnel attentif à leur bien-être.
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